Les plaques mémorielles de 1939-1945 réunies par Philippe Apeloig
by Frédérique Fanchette
La première plaque mémorielle reproduite entièrement dans Enfants de Paris, 1939-1945 n’est pas apposée sur un mur de la capitale mais sur celui d’un ancien marché couvert du Cher. Sur du granit ocre-rosé, un «merci» en lettres d’or ouvre un long texte. Une quarantaine de familles juives se réfugièrent pendant la Seconde Guerre mondiale à Châteaumeillant, «sauvées par le silence et l’action de la population». Parmi les rescapés, la mère et les grands-parents maternels de Philippe Apeloig.
Graphiste renommé, affichiste, typographe (il a créé plusieurs polices de caractères), l’auteur du livre a rassemblé des photographies de toutes les plaques parisiennes de la Seconde Guerre mondiale. S’y mêlent celles des victimes de la Shoah, celles des combats de la Libération de Paris et bien d’autres rappelant la mémoire de résistants anonymes ou célèbres. Plus d’un millier de plaques sont ainsi reproduites, la plupart visibles dans la rue, mais certaines dans des lieux moins accessibles : établissements scolaires, cimetière de Picpus, escalier d’honneur d’un ministère, cour d’immeuble… Parce qu’il aime le dessin des lettres, Philippe Apeloig nous fait, au-delà d’une plongée dans l’histoire, apprécier la variété de la typographie de ces inscriptions lapidaires. Certaines plaques ont disparu, d’autres sont remplacées. Aujourd’hui on utilise parfois une matière transparente sur lequel se détachent des lettres noires jugées peut-être plus sobres que les dorées, moins funéraires. Si bien que le livre est aussi un témoignage d’une esthétique qui évolue.
«N’oublions pas !», «N’oubliez pas !» Les Parisiens peuvent difficilement rayer de leur champ de vision ces rappels des années de l’Occupation, mais ont généralement une perception isolée de ces inscriptions. Telle ou telle plaque avec son anneau pour retenir un bouquet de fleurs lors des commémorations, est familière. C’est celle du coin de la rue, ou près du métro, d’un pont sur un trajet à pied. Les voir dans le livre à la suite, classées par arrondissement, change tout : une cohorte de héros et de victimes se lève et nous raconte une histoire faite d’individus, de destins fauchés, de courage inouï. «Ici est tombé», «ici fut arrêté», «ici habitait»… Par la force de ces trois lettres, le «ici» toujours là, lancinant, répétitif, fait ressurgir l’instant de ces multiples tragédies, devenues, «n’oublions pas», ciment du sentiment citoyen et du devoir mémoriel.
Les plaques mémorielles de 1939-1945 réunies par Philippe Apeloig
Presse, Décembre 2018