L’art des caractères.
Découvrir l’homme derrière l’affiche
by Stéphanie Hochet
Philippe Apeloig à la fois graphiste et typographe est une figure importante du monde de l’art. Si certains ont déjà écrit sur lui, cet opus est un ouvrage personnel et sensible sur sa profession.
Quel regard porte-t-on sur son métier quand on est désigné par ses pairs et le public comme le plus grand graphiste français dont la réputation a passé les frontières ? Philippe Apeloig n’a pas écrit pour gloser sur son talent mais pour parler de ses admirations, des cheminements de son parcours et des rencontres cruciales qui l’ont amené à créer son propre studio de design – l’auteur prendra le temps de commenter ce mot entré dans les années 90 dans la langue française pour finalement choisir de se définir comme graphiste.
Lui qui désirait devenir metteur en scène, décorateur de théâtre ou chorégraphe aura, à défaut appris l’importance de l’espace, de son organisation selon des trames et la notion du temps qui s’ancre dans des gestes plus ou moins lents et rapides. Le cœur de [s]on travail graphique porte les traces de [s]on engouement pour la danse et la musique. Tout commence à l’école supérieure des arts appliqués quand, obéissant à l’injonction de choisir une spécialisation, le jeune Philippe s’inscrit dans une classe intitulée « expression visuelle ». Lui qui imagine un jeu d’expression artistique mettant peut-être en scène le corps ou l’inspiration picturale découvre le travail sophistiqué de la typographie. À cette époque, Philippe rêve encore de devenir artiste peintre et songe que cet apprentissage mènera peut-être à un gagne-pain qui lui permettra de mener une vie de bohème. Il n’a pas encore conscience de mille et une possibilités artistiques contenues dans les affiches et se console en voyant des liens de parenté entre l’affiche et la peinture – et de songer à Lautrec, Klimt et Mucha. Mais la calligraphie et la typographie sont vertigineuses car elles puisent leurs racines dans l’origine de l’humanité. Elève brillant, Philippe est envoyé aux Pays-Bas pour y faire un stage chez le célèbre Total Design : Ce fut ma chance. Dès lors, le jeune Français connaît une ascension irrésistible : je revins à Paris métamorphosé et nourri du radicalisme stylistique qui conjugue l’expérimentation formelle simplifiée à l’extrême, la construction d’une structure d’apparence neutre et la conceptualisation rationnelle. Il est alors engagé au musée d’Orsay (il signera, entre autres, l’affiche Chicago, naissance d’une métropole). Plus tard, ce sera le Louvre qui l’appellera…
Outre le récit du cheminement de l’auteur, la particularité de ce livre découpé en chroniques est de dresser les portraits des hommes et des femmes avec lesquels Philippe Apeloig a travaillé. Du stagiaire allemand Johannes, gamin travailleur et fantasque, à la talentueuse Turque simplement nommée A, devenue graphiste pour des institutions culturelles et atteinte soudain d’un sentiment de déracinement évoluant vers une dépression. On rencontre aussi Jean-François, graphiste « engagé » qui se révèlera plus idéologue que créatif. Quant à Hervé, il dénote par sa liberté d’esprit. Son implication dans la défense du graphisme est différente, progressive, orientée dans la recherche de sa propre grammaire.
L’immense artiste qu’est Philippe Apeloig livre un ouvrage aussi délicat que ses compositions graphiques, un témoignage émouvant et généreux sur une profession qui tient également de la galerie de portraits littéraires de la meilleure tenue.
Philippe Apeloig, Chroniques graphiques, Tind éditions, 211 p., 19,90 €
Par Stéphanie Hochet
Romancière, essayiste et journaliste française Stéphanie Hochet est actuellement critique littéraire pour Le Jeudi du Luxembourg.
L’art des caractères.
Découvrir l’homme derrière l’affiche
Presse, 8 décembre 2016
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