Philippe Apeloig danse avec les mots
by Mélina Gazsi
Voilà un homme qui aime les mots. Les agencer plus que les écrire. Il en a fait son métier. La longue liste des identités visuelles et des affiches qu’il a réalisées l’ont inscrit dans notre patrimoine visuel quotidien. Le « P » du Petit Palais, la spirale, l’étoile, la main et la menorah du Musée d’art et d’histoire du judaïsme de Paris, le disque du Palais de la découverte, les logos du Théâtre du Châtelet et de l’Alliance française à New York, c’est lui, Philippe Apeloig. Profession: graphiste et typographe.
Jusqu’au 30 mars, le Musée des arts décoratifs, à Paris, consacre à cet artiste une rétrospective intitulée « Typorama ». Elle réunit près de 200 affiches, logotypes, typographies, livres et identités visuelles ainsi qu’un grand nombre d’esquisses et d’études préparatoires.
L’exposition s’accompagne de l’édition d’un livre de près de 400 pages, explorant trente ans de création à travers les domaines où le designer-graphiste a exercé son art. Jusqu’aux nouvelles polices de caractère, les Octobre, ABF, Izocel, etc., qu’il a créées avec la fonderie suisse Nouvelle Noire.
L’on découvre que le graphiste a signé également la signalétique de l’établissement public des voies navigables, celle de l’orfèvrerie séculaire Puiforcat avec la timbale d’Anne d’Autriche. Que l’identité visuelle du musée du Louvre Abou Dhabi, avec son tracé à plat, sa ligne droite épaisse, hachurée de traits blancs illustrant l’union des deux cultures et matérialisant les effets de la lumière comme ceux provenant d’un moucharabieh, c’est encore lui.
Impossible de lister de manière exhaustive les institutions, maisons et marques qui lui ont confié la création de leur identité et de leurs affiches – Hermès, les éditions Odile Jacob, du Serpent à plumes, pour n’en citer que quelques-unes.
En 2010, il réalise l’affiche de la rétrospective « Yves Saint Laurent (1936-2008) », présentée au Petit Palais à Paris. Il choisit comme élément central les fameuses trois lettres «YSL », constituant le logo de la maison, dessiné en 1961 par le peintre Adolphe Jean-Marie Mouron dit Cassandre (1901-1968), dont l’original, la gouache sur papier, a été prêté au Musée des arts décoratifs par Pierre Bergé.
Il le pare alors des trois couleurs de la célèbre robe Mondrian (jaune, rouge et bleu), créée par le couturier pour la collection haute couture automne-hiver 1965. A l’arrière-plan apparaît en noir bleuté le visage d’Yves Saint Laurent, un détail d’une photographie prise en 1962 par Pierre Boulat (1924-1998).
Apeloig danse avec les mots jusqu’à ce qu’il les fixe, comme un auteur construit un roman, un chorégraphe un ballet, un musicien un quatuor… Il est aussi un chercheur de formes, qui a contribué à l’évolution et à l’enrichisement de la typographie des trente dernières anées. « Dans les lettres, il y a à la fois le contenu, ce qui sert à construire la pensée, à transmettre un message, une information. Et il y a aussi la création pure, avec ce que cela implique de tâtonnements », explique le graphiste. L’expositiojn montre, à travers esquisses et dessins, les différentes étapes de ce travail, quand Apeloig fait et défait, décompose et recompose.
Comment il parvient, pour une exposition d’Henry Moore, à retenir finalement une vue frontale de la façade de la maison du sculpteur, en Angleterre. Comment il se sert des lignes de départ pour amorcer un mouvement ; comment il utilise la calligraphie pour créer des formes géométriques, brisées, épurées, qui dansent sur les affiches des spectacles de Pina Bausch dont il est un fervent admirateur.
« Le mouvement est au centre de mon travail », précise-t-il, évoquant à la fois l’affiche de Philippe Roth – dont le visage est représenté dans une constellation de pixels de tous les titres de ses romans – et sa première mission en 1987 pour le musée d’Orsay. Philippe Apeloig réalise l’affiche, devenue iconique, de l’exposition « Chicago, naissance d’une métropole », où le « go » en lettres épaisses semble traverser en trombe, tel un supersonique, les rues et raser le haut des buildings de la ville américaine. Les lettres, il s’en sert aussi comme d’une palette ou encore « comme un acteur au service d’un texte ».
Du reste, il ne cache pas qu’il aurait pu devenir peintre, danseur, écrivain ou chorégraphe. « Faire des affiches, je ne savais pas que c’était un métier », dit-il. Il savait dessiner. C’est tout. L’école républicaine l’envoie au lycée Lamartine à Paris, lui qui vit à Vitry-sur-Seine et Choisy-le-Roi, dans le Val-de-Marne. « L’aventure pouvait commencer », s’amuse-t-il. La suite ? Des études à l’Ecole supérieure des arts appliqués Duperré, à l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs.
« J’ai choisi l’expression visuelle et la calligraphie, on ne disait pas encore design ou graphisme », raconte-t-il. En 1983, un stage au studio Total Design à Amsterdam est décisif. Il y rencontre le Néerlandais Wim Crouwel, auteur notamment du New Alphabet, destiné à l’innovation du moment : l’ordinateur.
« Je ne connaissais pas grand-chose, j’étais seulement appliqué. Mais là, j’ai compris que ce serait mon monde », se souvient-il. Une certitude, cependant : « Je voulais être un artiste. » Et d’ajouter : « Pour réparer quelque chose. »
Apeloig, né en 1962 à Paris de parents français, n’a jamais oublié l’histoire, celle de la Shoah et des pogroms antisémites de Pologne que sa famille a fuis. Depuis 1997, il conçoit les affiches de la Fête du livre d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), consacrée à la littérature étrangère. Sa première collaboration avec la manifestation fut la réalisation de l’affiche célébrant la fin de l’apartheid : des rayonnages de livres remplaçant les barreaux des prisons.