Les « Chroniques Graphiques »
vues par la Commission centrale de l’enfance (CCE)
by Monique Kreps
Entretien avec Philippe Apeloig par Monique Kreps, membre du comité de rédaction de La lettre des Amis de la Commission Centrale de l’Enfance (AACCE).
Les éditions TIND viennent de publier un livre de textes : « Chroniques graphiques », où Philippe Apeloig aborde son parcours professionnel et son histoire personnelle en mêlant réalité et fiction. Philippe Apeloig n’est pas inconnu à la CCE. Enfant, il est allé en colonie à Tarnos.
Issue du mouvement de sauvetage des enfants juifs, puis de l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide (UJRE), la Commission Centrale de l’Enfance (CCE) naît à la Libération. Elle s’inspire dans ses réalisations des principes pédagogiques de Makarenko, de Korczak et de ceux du mouvement français de l’Éducation Nouvelle. Composée de Juifs communistes et laïques, la CCE avait pour objet d’organiser dans l’après-guerre les vacances, notamment, des enfants de parents juifs disparus au cours de l’Holocauste. Elle développe des centres de « Colonies de vacances », dont l’emblématique colonie sanitaire de Tarnos dans les Landes. Dans les années 1990, la Commission Centrale de l’Enfance interrompt ses activités et ses archives sont confiées au Mémorial de la Shoah. En 1992, les amis de la CCE, se constituent en association.
Philippe, la mémoire de votre famille juive a été présentée en introduction de l’exposition Typorama. Aujourd’hui, dans le livre Chroniques graphiques, vous racontez votre rencontre avec l’imprimeur Jacques London, ancien déporté.
Au moment de l’exposition « Typorama » au Musée des Arts décoratifs à Paris en 2013-14, j’ai souhaité lever le voile sur mon histoire personnelle à travers la mise en scène d’un petit mémorial constitué de photographies, d’extraits de films et d’une de mes affiches « Vis pour nous, vis sans nous ». J’avais à cœur de montrer les traces discrètes d’un contexte autobiographique. Mes grands-parents venant de Pologne avaient fuis les persécutions antisémites. Avec leurs enfants, ils ont passé une partie de la guerre cachés par des résistants français. Je tiens à porter la mémoire des disparus parce que je me sais porté par eux.
Au fil de mes études artistiques et de mes débuts dans la vie active, il n’a pas été simple de trouver des ramifications entre cet héritage personnel, le cadre social modeste dans lequel j’ai grandi et le monde sophistiqué et élitiste du design graphique. C’est l’une des raisons de ma surprise et de mon intérêt pour l’histoire intime de Peretz Rosenbaum, connu sous le nom de Paul Rand. Ce graphiste américain créateur de logotypes tel celui d’IBM, s’était inventé un nom comme une marque ne souhaitant pas revendiquer son identité juive dans son travail. Il est devenu le passeur d’un modernisme fondateur, universel et légendaire. Ce contraste entre la vie privée et professionnelle m’a touché, guidé et éclairé.
Par ailleurs, une chronique du livre relate ma rencontre avec l’imprimeur Jacques London, qui bénéficiait d’une grande réputation à Paris. J’étais alors le jeune graphiste en poste au musée d’Orsay avant même son ouverture au public en 1986. Je n’ai jamais oublié la chance que j’ai eu de connaître monsieur London, d’avoir mon travail imprimé par ses soins et d’apprendre ce que fut sa vie. C’était alors pour moi deux mondes qui paraissaient opposés et se croisaient : le patrimoine français et l’histoire des juifs émigrés à Paris.
Comment s’est produit le passage à l’écriture pour quelqu’un qui exerce quotidiennement un travail visuel ?
À l’occasion de l’exposition « Typorama », j’ai rencontré trois jeunes journalistes et éditeurs qui venaient de lancer la revue TIND consacrée aux arts graphiques et à la littérature. Lors de cet entretien, ils m’ont proposé d’écrire des chroniques sur mon métier puis d’en faire un livre. Au fil du processus d’écriture, je me suis rendu compte qu’une histoire courte est le resserrement d’une idée comme une affiche ou un logo. Dans ma pratique du graphisme, je joue avec les lettres. En écrivant ces dix chroniques j’ai ressenti l’envie de réveiller les mots, ce qui est jubilatoire. J’ai souhaité m’identifier aux êtres que j’ai croisés, ceux qui en veulent, ceux qui souffrent. J’ai décris des portraits d’hommes et de femmes, leurs engagements, leurs déceptions, leurs faiblesses parfois. Ce sont des personnes qui ont compté dont j’ai parfois amplifié les traits de caractères. Il y a un décalage entre la réalité et ce que j’ai écrit. Mais on dit toujours quelque chose de sa vie au moyen de la création, donc oui, il y a un aspect autobiographique dans ce livre. Ce sont les nappes du passé, la mémoire, peut-être l’indiscernable qui rejaillit. À travers mon regard, ces chroniques permettent d’apprendre sur le graphisme, les écoles, l’évolution des techniques, les relations de maître à élève. Certaines histoires évoquent les coulisses des jurys et les arcanes administratives dont la futilité contraste avec la rigueur et la créativité qu’exige le métier de graphiste. Ces histoires se complètent, se superposent. Elles s’emboitent les unes après les autres. Elles sont jalonnées d’inquiétudes, d’instants heureux ou tristes, de questionnements. Au fond, c’est un tour de force que de parler de soi.
Philippe Apeloig, Chroniques graphiques, Tind éditions, 211 p.
Les « Chroniques Graphiques »
vues par la Commission centrale de l’enfance (CCE)
Presse, Janvier 2017