Les «Chroniques graphiques» de Philippe Apeloig, belles comme une affiche qui claque
by Xavier de Jarcy
Ses créations sont visibles dans plusieurs lieux culturels et institutions. Philippe Apeloig a aussi une belle plume, comme le prouvent ses “Chroniques graphiques” récemment parues. Un retour sur sa vie et sa carrière, et un magnifique plaidoyer en faveur d’une profession souvent incomprise et malmenée.
Qui ne connaît, même sans le savoir, Philippe Apeloig ? Le logo du Petit Palais, les affiches du Théâtre du Châtelet ou du Théâtre national de Toulouse… c’est lui. Né en 1962, ce graphiste est aujourd’hui l’un des plus réputés, en France et au-delà des frontières. Il vient d’écrire un livre, Chroniques graphiques, chez Tind éditions, où il se raconte avec verve et sincérité. Son enfance de gamin solitaire, souffre-douleur de ses camarades de classe. Les visites à son grand-père ébéniste, rue du Faubourg-Saint-Antoine, dans un atelier sentant bon « la sciure et la colle de peau de lapin pour la marqueterie ». Son désir de s’évader par la création artistique. Ses études à l’école des Arts appliqués, surnommée « les Zarza », où il apprend à dessiner les lettres, à distinguer le caractère Didot du Garamond, et à composer des textes « en pavés justifiés ». Son passage comme stagiaire dans une agence néerlandaise, où il s’imprègne d’un « graphic design » à la fois rationnel et radical. Il le combinera peu après avec l’esprit « beaux arts » échevelé de l’Ensad (Ecole nationale supérieure des arts décoratifs), en plein bouillonnement militant, où les enseignants « s’entredéchiraient à coups de paroles venimeuses dont nous étions les spectateurs interloqués ».
Alternant drôlerie et gravité, Philippe Apeloig fait partager la fièvre de l’époque où il crée ses premières affiches et ses premiers catalogues pour le musée d’Orsay. Il conduit le lecteur jusque dans l’antre du légendaire imprimeur Jacques London, personnage de roman en costume bleu lavande, ami de Chagall et de Soutine. Le graphiste-écrivain sait raconter son métier attachant et mystérieux. Son art, comme il l’explique si bien, consiste à ravir le passant, à l’arrêter et à l’informer en beauté sans l’intimider. Humble et ambitieux à la fois, il avoue ses hésitations au moment de créer une affiche : « Cette typographie sera-t-elle magnifique ? Ce geste sera-t-il assez audacieux ? » Plein d’attention pour « le velouté des encres », il décrit ses heures passées dans les imprimeries jusqu’à obtenir un travail parfait.
Chroniques graphiques est « Les institutions culturelles, constate Apeloig en parlant des principaux commanditaires du graphisme, sont gangrenées et dégradées par les lois conformistes du marketing et de la publicité. » L’ignorance, le manque de respect, l’inculture du regard font des ravages. Edulcoré de réunion en réunion, tout effort de qualité et de singularité finit trop souvent en « sauce indigeste ». Philippe Apeloig raconte les séances de réflexion absurdes organisées pour décider d’un logo, les années d’effort pour élaborer et faire respecter les principes d’une signalétique commandée par un musée. Il ne se décourage pas. Il est dévoré par ce métier qu’il adore. Le graphisme est un art fragile comme une affiche qui risque à chaque instant l’arrachement. Il a trouvé en Apeloig l’un de ses plus convaincants défenseurs.
Philippe Apeloig, Chroniques graphiques, Tind éditions, 211 p., 19,90 €
Par Xavier de Jarcy
Journaliste à Télérama et auteur du blog mode et design Tout chose
Les «Chroniques graphiques» de Philippe Apeloig, belles comme une affiche qui claque
Presse, 20 décembre 2016