La mémoire de la mémoire
by Jean-Claude Perrier
Un ouvrage consacré aux plaques commémoratives de la Seconde Guerre mondiale à Paris.
Graphiste, designer, Philippe Apeloig, né en 1962, n’a pas connu la guerre. En revanche, descendant de grands-parents et de parents juifs qui avaient dû fuir Paris durant l’Occupation, il a forcément vécu avec, comme avec la Shoah. Son intérêt passionné, obsessionnel presque, pour les plaques commémoratives lui vient de sa propre mère. En 2004, Ida Rozenberg a en effet fait poser une plaque commémorative sur la grand-place du village de Châteaumeillant, dans le Cher, entre Châteauroux et Bourges, afin de remercier les habitants de l’époque, ces Justes qui avaient caché et sauvé une quarantaine de familles juives, dont la sienne, des nazis et des collabos.
Depuis une quinzaine d’années, Apeloig et son équipe de photographes ont donc recensé et cliché systématiquement toutes les plaques commémoratives de la guerre de 1939-1945 figurant sur les murs de Paris, arrondissement par arrondissement, quartier par quartier, individuelles ou collectives, exercice acrobatique, un peu fou, et aussi esthétique. En typographe, le maître d’œuvre insiste sur la beauté et la diversité des matériaux, des lettres, de leur gravure. Quant au texte qu’elles portent, il peut être minimaliste, un simple nom, ou beaucoup plus détaillé, on a envie de dire « romanesque ». On aimerait par exemple tout savoir de ce Roger Séjournant, « jeune FFI de 22 ans », « tombé pour la Libération de Paris le 20 août 1944 », devant le 27, rue Saint-Denis, 1er arrondissement. Ou encore de ce Louis Chapiro, un Juif qui habitait 34, rue des Rosiers, 4e, commandant FTPF fusil au Mont-Valérien, le 30 avril 1944. Il était né en 1913. Il y aurait un roman, à n’en pas douter, à écrire sur chacune de ces victimes, arrêtées, fusillées ou déportées et exterminées dans les camps. Si longtemps après, ces plaques maintiennent leur souvenir, fleuries à chaque fête nationale. Et désormais, grâce à Philippe Apeloig, on fera plus attention en passant dans nos rues.
Outre son intérêt historique, son projet inédit, cet opus constitue une prouesse éditoriale, presque un livre-objet, avec ses 1 200 photos, ses 1 100 pages, et ses pages de garde, l’une bleue, l’autre rouge, recréant, avec l’épaisseur des tranches blanches du corps du volume, le drapeau national. On pense à Malraux, s’adressant à la jeunesse de notre pays, afin qu’elle n’oublie jamais Jean Moulin et ses frères, morts pour la patrie. Et justement, « mémoire de la mémoire, cet ouvrage s’adresse à la jeunesse », écrit Philippe Apeloig. Avec le retour de la barbarie un peu partout, elle devrait adhérer au message.