Philippe Apeloig rhabille la porcelaine de Sèvres

Réputé pour son élégance, le graphiste Philippe Apeloig fait danser les lettres sur les affiches des grandes institutions culturelles. Invité à la Manufacture de Sèvres, il réinvente le décor sur porcelaine.

L’assiette en porcelaine nommée Galaxie est couverte d’une constellation dorée. Posée par une technique de gravure qui lui donne un léger relief renforçant la sensualité de l’objet, elle brille sur ce bleu profond qui signe les productions de la Cité de la céramique de Sèvres. Elle est composée de points typographiques, mais cela n’est pas visible au premier regard. Son auteur, Philippe Apeloig, a préféré les suggérer.

Ce graphiste de 54 ans aime donner du mouvement à la typographie. Adolescent, il a rêvé un temps de devenir danseur. Longtemps souffre-douleur de sa classe, il a trouvé refuge dans la culture. L’enfant solitaire qui baissait la tête a fait de sa sensibilité une arme. Depuis, c’est sur des affiches pour des spectacles au Théâtre du Châtelet ou des expositions au musée d’Orsay qu’il se fait chorégraphe de lettres. Avant même d’être groupées en mots, leurs formes ont pour lui un sens, elles «communiquent des sensations».

Philippe Apeloig est le premier graphiste à travailler pour Sèvres, qui, d’habitude, fait plutôt appel à des plasticiens ou à des designers. Sa directrice générale, Romane Sarfati, l’a choisi car «il est l’un des plus grands. Son approche est d’une extrême rigueur, mais le résultat est tout en spontanéité, en élégance et en simplicité», On ne dirait pas qu’il a fallu des centaines de dessins et d’essais pour parvenir aux motifs de cette assiette.

Aussi intimidé que stimulé par cette incursion dans un domaine inconnu, Apeloig a visité plusieurs fois les vastes ateliers qui, en lisière du parc de Saint-Cloud, bordent la Seine depuis 1876. Il s’est imprégné du «prodigieux» savoir-faire des artisans de l’établissement public. «Ils sont comme les danseurs de l’Opéra de Paris, capables d’interpréter du Béjart, du Balanchine ou du Pina Bausch. Votes pouvez tout leur demander, du service second Empire à l’Art déco, et jusqu’aux créations les plus contemporaines.» Philippe Apeloig vit son métier comme une discipline artistique. Un engagement total, qui l’absorbe jour et nuit. Certains de ses confrères sont plutôt des spécialistes de la signalétique, d’autres ont une activité plus commerciale. «Mais moi, j’ai étudié dans une école d’art, pas d’ingénieurs ou de commerce», insiste cet élève de l’Ensad (Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs). Son métier teste souvent dans l’ombre, mal compris, «mais c’est peut-être une bonne chose. L’Art contemporain, aujourd’hui, est un peu comme le rock’n’roll, avec ses stars internationales. Jamais le pompiérisme n’a autant dominé. Le graphisme, échappant aux grands réseaux, est plus vulnérable, mais il est aussi plus libre et plus créatif». A Sèvres aussi, on observe ce bouillonnement artistique. Et l’on espère réaliser d’autres projets avec des graphistes français ou internationaux, placés au même rang que des sculpteurs ou des archictectes. Philippe Apeloig partage cette envie de décloisonnement. Pour lui, l’art, le design, la mode, le graphisme ou les métiers d’art ont tout à gagner à se rapprocher : rien de plus stimulant qu’une exposition où affiches, mobilier, robes et oeuvres dialoguent. Tous à égalité dans l’immense galaxie de la création.

Xavier de Jarcy